Atlantide - Les mots du monde à Nantes
Depuis sa création en 2013, Atlantide réunit chaque année, durant quatre jours, une cinquantaine d’écrivains français et internationaux qui viennent à Nantes partager les mots du monde et croiser leurs points de vue littéraires sur les grands enjeux de nos sociétés sous la direction artistique d’Alain Mabanckou. Chacun peut y trouver son bonheur de lecteur, en mots ou en dessins, plonger dans l’œuvre de grands noms de la littérature ou découvrir de nouveaux talents. 60 grandes rencontres et moments d’échanges avec les écrivains du festival Atlantide. L’occasion d’aborder des thèmes littéraires et de débattre avec eux sur quelques grands enjeux de nos sociétés.
Le visuel de l’édition 2019 de Atlantide est signé © Jeanne Macaigne.
Photo Atlantide 2018 © Michael Meniane
- Du jeudi 28 février 2019 au dimanche 3 mars 2019
44000 Nantes
L'avis de la rédaction
Jouer avec les mots
Sous la direction de l’écrivain Alain Mabanckou, le festival des littératures de Nantes met toujours plus en avant les mots et maux du monde. De José Eduardo Agualusa à Valérie Zenatti, on égrène toutes les lettres de l’alphabet en compagnie d’une cinquantaine d’auteurs (Christine Angot, Pierre Assouline, Sefi Atta, Joséphine Bacon, In Koli Jean Bofane, Adrien Bosc, Gwen de Bonneval, Carsten Jensen, Serge Joncour, Natasha Kanapé Fontaine, Dany Laferrière, Fiona Melrose, Lola Shoneyin, Shumona Sinha, Chantal Thomas, Zoé Valdés, Paul Wamo, Wu Ming-yi…) Pas besoin de réserver vos places, juste vos dates.
L'interview
L’auteur de la trilogie Les hirondelles de Kaboul, L’Attentat et Les Sirènes est traduit dans le monde entier. Ce que le jour doit à la nuit et L’Attentat ont été adaptés au cinéma. Infatigable, l’auteur algérien ne cesse de dénoncer le terrorisme islamiste et le fanatisme religieux.
Le vrai terreau du terrorisme, c’est l’humiliation
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Prendre les deux prénoms de votre épouse pour votre pseudo, c’est un acte d’amour et un acte politique ?
C’est surtout un acte de gratitude. On était en guerre et je n’étais pas sûr d’en sortir vivant. J’ai voulu dire merci à une femme qui a fait de moi ce que je suis. Ça n’est pas politique car tout ce qui est politique est malsain. Moi, je suis dans la générosité et l’amour.
Quand on vous écoute et vous lit, on se dit que finalement tout pourrait être simple, pourquoi vos idées ne sont-elles pas majoritaires ?
Je crois que le monde est plus fasciné par le mensonge, la calomnie et les atrocités que par la vérité. Les gens préfèrent ce qui les émerveille et on ne peut pas être majoritaire dans un monde qui court à sa perte.
Vos écrits sont marqués par vos origines et votre expérience de vie, vous arrive-t-il de vouloir faire abstraction de ce contexte lourd ?
C’est ce que j’ai toujours essayé de faire même si je suis fait de ce qui m’angoisse en tant que citoyen ou père. Je regarde dans les failles et les points forts afin de trouver un espace pour l’espoir et le rêve. Il m’arrive aussi d’aller vers des choses plus légères pour me ressourcer et croire qu’il est possible pour chacun de nous de continuer de rêver.
Vous considérez-vous comme un écrivain engagé ?
Surtout pas, je ne suis pas engagé. Je considère qu’on ne peut pas être engagé sans être dans l’humanitaire. Ceux qui sont engagés sacrifient leur vie pour ceux qui sont dans le besoin et la détresse. Par contre, je suis profondément humain parce que j’ai une très grande sensibilité. Je viens du désert et dans ma tribu, on m’a appris à être attentif au désarroi des autres, à être utile.
Vous écrivez depuis votre plus jeune âge. Qu’est-ce que ça représente pour vous ?
Écrire, c’est me réinventer. Réinventer ma patrie, mon univers, aller ailleurs, échapper à ce qui est réducteur et carcéral. Enfant soldat, chaque page que j’écrivais était une brèche dans les murailles de la caserne et, plus tard, chaque livre que j’écrivais, un tapis volant qui m’emmenait loin de la bêtise humaine.
Pourquoi cette négation de la femme dans la culture arabe ?
Parce que nous n’avons pas le courage de regarder la femme dans les yeux. On a cru qu’elle n’était là que pour notre bon plaisir. Comme de petits seigneurs, on oublie qu’elle a aussi été notre mère, notre sœur ou notre fille. C’est un crétinisme génital. Les sociétés arabes sont phallocratiques. Elles pensent que la vérité est le symbole indétrônable du pouvoir, alors qu’il y a aussi l’intelligence. L’intelligence étant surtout du côté de la femme, ça pose problème.
Quel est le meilleur terreau du terrorisme, le fondamentalisme religieux ou les pouvoirs corrompus ?
Le vrai terreau du terrorisme, c’est l’humiliation. Là où les gens sont opprimés, traînés dans la boue, c’est là que se trouve la patrie de la violence. Le reste, ce ne sont que des outils de la violence puisque tous les intégrismes naissent de la frustration.
Quel rapport entretenez-vous avec l’Algérie ?
Celui qu’entretient n’importe quel citoyen avec sa patrie et qui espère le meilleur pour son peuple. C’est un rapport assez triste puisque c’est un champ de guerre. En 1998, j’ai écrit L’Automne des chimères et je parlais déjà de ce qu’allait devenir l’Algérie. Cette fausse réconciliation, cette terreur anéantit toute volonté de se rebeller. Le terrorisme est un nuage cafardeux qui sera obligé de se dissiper un jour mais ce que je redoute le plus pour mon pays, c’est le renoncement. Le peuple algérien ne croit plus en rien et c’est lamentable de sa part.
Pourtant, vous restez optimiste…
Tous les peuples sont passés par des moments critiques, voire apocalyptiques mais on ne cessera jamais de croire. Aucun malheur n’est éternel, on touche le fond et on remonte. Je suis certain que l’Algérie vit une période d’incubation mais nous allons nous en sortir. C’est une leçon de vie, un jeune peuple qui ne sait pas encore ce qu’il veut, qui n’a pas consolidé ses repères. Chaque blessure est un tatouage. Nous avons manqué de responsabilité.
Où trouvez-vous la foi en l’avenir ?
Dans les yeux de ceux que j’aime. Je me bats pour qu’il y ait toujours un moment solaire et ça m’interdit d’être défaitiste. Je sais reconnaître ce qui est triste et affligeant mais aussi voir ce qui pourrait nous aider à retrouver le sourire. Il ne faut jamais baisser les bras. On a une seule vie et si chacun se rendait compte qu’il est unique et irremplaçable, il pourrait vivre pleinement sa vie.
Pourquoi écrire essentiellement en langue française ?
J’ai toujours voulu écrire en arabe la poésie mais, à 14 ans, quand j’ai rencontré la langue française, elle m’a ébloui. J’ai pensé qu’elle pouvait m’emmener loin. J’étais toujours sermonné par mes professeurs parce que j’étais un petit poète de 14 ans alors qu’un professeur de français m’a fait aimer sa langue. Je dois tout à la langue française, c’est une vraie histoire d’amour. Je ne l’ai pas étudiée, je l’ai aimée.
Dans un festival comme Atlantide, qu’est-ce qui compte pour vous, la rencontre avec les autres écrivains ou avec vos lecteurs ?
Je suis considéré comme un paria et diabolisé dans le milieu littéraire. Ce qui compte pour moi, ce sont les lecteurs. Je vais rencontrer ceux qui me font. J’ai besoin d’aller à leur rencontre, qu’on voit que je suis réel. C’est avec eux que je trouve la force de continuer d’écrire et croire. Je suis fan de mes lecteurs.
L’Autre visage du monde, samedi 12 mars 18h.
Grande rencontre dimanche 3 mars à 13h.
Propos recueillis par Patrick Thibault
Crédit photos : Yasmina Khadra © Géraldine Bruneel
Les articles
Jamais deux sans trois ! Après La Folle Journée et HIP OPsession, voilà Atlantide. Le festival qui entend transformer Nantes en “capitale française de l’optimisme culturel et du pouvoir de l’imaginaire”, selon la formule d’Alain Mabanckou son directeur artistique.
On peut faire confiance à Alain Mabanckou pour concocter une programmation qui facilite les échanges et le débat sur quelques grands enjeux de société. Disons aussi qu’à l’heure où on a tendance à considérer que ce sont toujours les mêmes qui ont la parole, le romancier-poète-essayiste a plus que jamais à cœur de mettre en avant des auteurs que l’on connaît souvent moins ici. Ce sont ceux qu’il appelle les ambassadeurs d’une littérature monde.
Loin d’un salon où l’on ne se presserait que pour obtenir des dédicaces, Atlantide a trouvé son positionnement en adoptant son sous-titre : Les Mots du Monde à Nantes. Le casting des écrivains invités est donc international. Une cinquantaine, issue de 24 nationalités différentes pour être précis. Alain Mabanckou a défini quatre grands axes thématiques autour desquels s’articulent rencontres et débats. Histoire passée, histoire présente, histoire future ; identité et migration ; l’engagement littéraire face aux turbulences du monde ; réalité et fiction : une littérature de la frontière.
Tout commencera en ville dans les librairies le 28 février. Et Alain Mabanckou nous promet une édition où “les mots nous ouvrent une porte sur l’humain et sur le monde comme il va, ou comme il ne va pas. Mots de l’engagement, mots de la liberté, envers et contre tout”.
Check list
Au-delà des talents confirmés que sont Christine Angot, Victor del Arbol, Yasmina Khadra, Serge Joncour, Dany Laferrière ou Zoé Valdés, Atlantide invite de jeunes plumes qui font déjà parler. Natasha Kanapé Fontaine, Adrien Bosc, Estelle Sarah-Bulle, Taiye Selasi ou Max Lobe.
Une cinquantaine qui représente toutes les facettes de la littérature, de l’écriture : romans, nouvelles et essais, littératures de genres, littérature jeunesse ou poésie… Nombreux sont des écrivains de l’exil, de la diaspora imposée ou volontaire.
Patrick Thibault
Le festival des littératures s’applique à restituer le poids des mots. Des mots pluriels qui nous viennent du monde entier loin des sentiers balisés de l’écriture mainstream. Rencontres, conversations, débats… un rendez-vous joyeusement orchestré par Alain Mabanckou pour donner du sens, ouvrir une porte sur l’humain et l’imaginaire.
Pas question de faire un choix dans la programmation foisonnante du festival Atlantide. Bien sûr, on pourrait aller du côté des plus connus (Christine Angot, Dany Laferrière, Zoé Valdés…) ou alors opter pour les moins connus, c’est-à-dire ceux dont la parole n’est pas encore arrivée jusqu’à nous. Nous n’en ferons rien car ce qui fait la force du festival qui a maintenant trouvé sa place, c’est justement la diversité et la complémentarité des cinquante auteurs invités. On reprend donc le chemin des conversations avec un auteur mais aussi celui des débats intitulés Qu’est-ce qu’un roman engagé ou politique ?, L’urgence de la parole poétique, Amours extraordinaires, Afroféminisme-une nouvelle arme ?, Drôles de guerre, Migrations et quêtes d’identité, Du sexe de la race et des colonies… À l’arrivée, parions que nous sortirons grandis par la richesse de ces échanges, la puissance des lectures et le pouvoir des mots.
Patrick Thibault